Collectivités territoriales et adaptation au changement climatique

Le changement climatique pose aujourd’hui trois questions aux territoires et aux agents de développement local que le CIEDEL accompagne :

  • Quel est le niveau de fragilité du territoire face au changement climatique en cours ?
  • Quelles stratégies d’atténuation les acteurs du territoire mettent-ils en place pour contribuer à limiter ce changement ?
  • Et quelles stratégies d’adaptation peuvent leur permettre de limiter les impacts potentiels négatifs du changement climatique – ou de maximiser les impacts positifs ?

Les territoires inégaux face au changement climatique

Le changement climatique peut pour la plupart des territoires impacter directement l’évolution des températures et/ou du régime des précipitations. Ces deux phénomènes ont des répercussions sur les ressources naturelles d’une part, et sur les activités humaines d’autre part (les deux étant par ailleurs liées), fragilisant les territoires de façons différentes :

  • Certains territoires sont plus affectés par l’altération de leurs ressources naturelles, soit parce que l’impact du changement climatique y est plus fort (par exemple les régimes de précipitation y sont plus perturbés), soit parce que leurs ressources sont plus fragiles ou plus limitées (par exemple un territoire dont les réserves en eau douce sont limitées), soit parce que les ressources naturelles sont déjà surexploitées ;
  • L’impact sur les activités humaines est aussi plus important sur certains territoires, soit parce que l’ampleur de l’impact du changement climatique y est plus important, soit parce que les activités du territoire sont directement dépendantes du climat ou de l’état des ressources naturelles (par exemple l’agriculture), soit parce que le territoire dispose d’infrastructures moins résistantes aux effets du changement climatiques ;
  • On peut ajouter à ces fragilités que les territoires sont inégalement affectés par les fragilités de leurs voisins, qui renforcent leurs propres fragilités. Par exemple, la proximité avec un territoire très affecté par le changement climatique pourra entrainer des phénomènes de déplacement de populations, augmentant la pression sur les territoires voisins.

Enfin, il faut prendre en considération la question de résilience du territoire face aux effets du changement climatique. Les territoires qui ont la capacité de mobiliser des moyens financiers, humains et techniques suffisants sont plus résistants et sont ainsi potentiellement plus à même de s’adapter aux aléas climatiques et à leurs conséquences.

Ainsi, une coopération entre territoires sur le changement climatique s’avère nécessaire non seulement pour échanger sur leurs expériences mais aussi pour mieux se préparer ou répondre aux impacts du changement climatique.

L’adaptation, une urgence pour les territoires

La deuxième question, celle de l’atténuation, est importante mais sera traitée très brièvement dans cet article. Disons simplement qu’elle renvoie directement à nos objectifs et nos engagements (nationaux, mondiaux) de transformation vers une société moins carbonée, plus sobre en consommation énergétique et utilisatrice de plus d’énergies renouvelables. Les territoires peuvent en être des fers de lance (c’est même leur responsabilité), à condition d’avoir une stratégie collective efficace. Mais globalement, le chantier est piloté par les États.

Sur la troisième question dont nous traitons dans cet article, celle de l’adaptation, les territoires sont en première ligne. Plus précisément les communes ou les intercommunalités.

En France, les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants et la métropole de Lyon (article 188 de la LTEC) ont désormais l’obligation légale de mettre en place un PCAET (Plan Climat-Air-Énergie Territorial) présentant un diagnostic et une stratégie sur 2 volets : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Ces PCAET peuvent cohabiter ou être intégrés au sein d’autres dispositifs (Agenda 21 ou des agendas liés aux ODD).

Un équivalent international émerge d’ailleurs avec les SECAP (Sustainable Energy and Climate Action Plan), appuyé par la Convention des Maires pour le Climat et l’Énergie (Global Covenant of Mayors for Climate and Energy).

Il est logique que ces stratégies soient pilotées au niveau des intercommunalités, car c’est une échelle qui permet non seulement de prendre en compte les spécificités et les fragilités des territoires face au changement climatique, mais aussi de mettre en place une consultation avec les acteurs locaux. Pour autant, elles peuvent avoir des difficultés à construire ces plans complexes.

Le premier problème est celui des ressources. En France par exemple, l’État et les Régions ne financent pas les politiques de droit commun. Cela implique que les intercommunalités doivent dégager des ressources sur leur budget propre pour mettre ces plans sur pied. L’ingénierie à mobiliser est d’autant plus importante que la thématique est récente et qu’elle implique de revoir les manières de planifier pour un certain nombre de collectivités : la lutte contre le changement climatique nécessite une approche transversale plutôt qu’une approche verticale en silo.

Or il se trouve que certaines collectivités territoriales rurales récentes ne disposent pas de ressources humaines nécessaires pour mener à bien la mise en place d’un PCAET. La lutte contre le changement climatique implique la mise en place d’un processus participatif de diagnostic et de planification, pour lequel la collectivité n’est pas toujours préparée – et sur lequel les élus peuvent se montrer plus ou moins réticents. Il s’agit d’un véritable travail d’animation du territoire qui est d’autant plus nécessaire qu’un plan élaboré sans concertation sera très difficile à mettre en place pour la collectivité territoriale (à moins d’avoir des moyens très importants pour financer le plan d’action).

La participation au cœur des stratégies d’adaptation

Alors quelles solutions ? La construction du volet adaptation d’un PCAET suit les mêmes étapes que la plupart des stratégies de planification. D’abord une étude de vulnérabilité pour cibler les grands enjeux et identifier les fragilités. L’écriture d’une stratégie qui répond à ces enjeux. Puis la déclinaison des objectifs en un plan d’action avec identification des ressources nécessaires.

Cette démarche ne peut cependant pas raisonnablement se faire en circuit fermé (experts) pour plusieurs raisons. D’abord, celle que l’on a citée plus haut, le plan d’action ne peut recevoir le soutien des différents acteurs du territoire que s’il est approprié. Ensuite, les effets du changement climatique sont déjà ressentis au niveau local ; il est donc nécessaire de s’appuyer sur les constats que font déjà les acteurs de terrain, à travers leurs observations et leurs réflexions. Enfin, et c’est sans doute le plus important, la construction d’un plan d’adaptation est nécessairement une démarche transversale, dont certains aspects échappent aux champs de compétences délégués à la collectivité territoriale. La collectivité territoriale doit donc faire appel à différents acteurs pour récolter des éléments de diagnostic et élaborer une stratégie et un plan d’actions. Des acteurs locaux comme les associations, des AMAP, les forestiers, etc. ont toute leur place dans le processus.

La construction d’une stratégie d’adaptation demande donc une véritable capacité de la collectivité territoriale à jouer un rôle de coordination et d’animation sur le territoire. C’est sans doute en ce sens que les agents de développement local peuvent jouer un rôle important dans la construction des stratégies territoriales d’adaptation au changement climatique et renforcer leur fonction.
L’obligation de mettre en place une telle démarche souligne ainsi un élément essentiel de l’évolution du travail des collectivités territoriales : il est plus que nécessaire, pour relever les défis mondiaux et locaux actuels, de modifier les habitudes de fonctionnement « en silo » pour passer à des logiques de réflexions intégrées dans l’ensemble des politiques publiques (en d’autres termes, l’adaptation au changement climatique ne concerne pas un service en particulier mais l’ensemble des politiques publiques de la collectivité territoriale).

A cet égard, la mise en place d’un plan d’adaptation constitue une première étape logique, une porte d’entrée pour travailler sur les questions de changement climatique à l’échelle de la collectivité. Elle a le mérite de rendre la problématique visible, de proposer des pistes d’action et de rassembler les acteurs autour d’un diagnostic et d’une stratégie commune. Mais elle n’est pas suffisante pour permettre une véritable transformation vers un territoire plus résilient.

Les acteurs locaux peuvent mettre en place des stratégies d’adaptation sans attendre la collectivité territoriale

Reste la question de la capacité d’action des acteurs du territoire dans les cas où la collectivité territoriale ne se saisit pas immédiatement des problématiques d’adaptation. De nombreux acteurs des territoires travaillent en fait de manière instinctive ou volontaire sur des stratégies d’adaptation, sans forcément qu’il y ait besoin d’une coordination pour que leurs stratégies soient efficaces. Ces acteurs peuvent être actifs individuellement, mais aussi gagner en influence et en capacité d’action en s’organisant à l’échelle d’un collectif, d’une fédération…

Les premiers acteurs à s’adapter au changement climatique sur un territoire sont ceux dont l’activité économique est planifiée sur le long terme (par exemple les forestiers, qui font des investissements à 20, 30, 40 ans ou plus), et ceux dont l’activité économique est visiblement et fortement impactée par les évolutions climatiques (par exemple les agriculteurs, ou les stations de ski en montagne).

La prise en compte de la nécessité d’adaptation par ces acteurs est importante et peut être accompagnée par les agents de développement local, par exemple en encourageant et en accompagnant les innovations allant dans le sens d’une plus grande résilience. Il est aussi possible d’accélérer la prise en compte au niveau territorial de la problématique d’adaptation en appuyant ces acteurs « d’avant-garde » dans leur dialogue avec la collectivité territoriale.

Il est toutefois important de rester conscient que ces acteurs, s’ils ne sont pas coordonnés, peuvent aussi mettre en place des stratégies d’adaptation contreproductives (on peut parler de cas de mal-adaptation), par exemple en sécurisant leur propre accès aux ressources naturelles au détriment d’autres acteurs – on peut citer ici aussi le cas des canons à neige dans certaines stations de ski, qui contribuent à la pénurie d’eau en creux de vallée.

Le travail d’adaptation au changement climatique peut contribuer à transformer des territoires fragiles et à les rendre plus résilients

Nous conclurons que la mise en place de stratégies d’adaptation au changement climatique sur les territoires peut être un facteur de changement important sur les habitudes de travail collectives des collectivités territoriales et des autres acteurs du développement local.

D’abord, la construction d’une stratégie d’adaptation efficace repose sur la mise en place d’un dialogue transversal entre acteurs et entre filières. A travers un spectre d’analyse différent (une réflexion large et non seulement sur ses propres compétences déléguées), la collectivité territoriale peut construire de nouvelles relations de dialogue et de co-construction avec les acteurs locaux.
Ensuite, et même s’il est un peu tôt pour en faire le bilan, l’adaptation au changement climatique est l’occasion pour certains territoires (notamment des territoires très dépendants d’une « monoactivité » économique) de repenser leur projet de territoire et de gagner en résilience. C’est par exemple le cas de certains territoires touristiques de montagne qui passent progressivement d’une activité « monoski » à une démarche dite « 4 saisons », en diversifiant leurs activités et sources de revenus. Un bénéfice non négligeable qui peut leur permettre d’éviter le déclin qui a frappé des territoires industriels trop dépendants d’une ressource à la fin du 20ème siècle en Europe.

A travers la question de l’adaptation au changement climatique, c’est donc la capacité de résilience du territoire – et pas uniquement sur les questions de climat – qui est questionnée.

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