Focus acteur : Ialfine Papisy, un engagement pour le genre forgé dans la sphère économique privée

Ialfine travaille à Madagascar pour l’ONG Sud-Africaine Gender Links, dont elle a mis en place la branche malgache. Désormais directrice pour le pays, son engagement pour les femmes l’a aussi amené à intégrer un rôle dans le processus de réconciliation à Madagascar. Après une VAE au CIEDEL, elle souhaite évoluer davantage vers la conception et mise en œuvre des politiques publiques.

Bonjour Ialfine. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton travail à Gender Links ?

En tant que directrice pays, j’ai des responsabilités « classiques ». Pour résumer je suis d’abord mobilisée sur la conception de projets, puis la recherche de financement, parfois dans l’ordre inverse. Je coordonne la mise en œuvre et le suivi-évaluation des projets. J’encadre en tout 3 personnes au bureau et nous travaillons avec un pool de 31 formateurs qui interviennent en fonction des projets.

La spécificité vient de nos programmes. Gender Links œuvre pour la promotion des droits des femmes en Afrique Australe. Ses programmes s’inscrivent dans le cadre de la réalisation des objectifs stipulés dans le protocole de la SADC (Communauté de Développement d’Afrique Australe), sur le Genre et Développement.

Quand Gender links intervient dans un nouveau pays, comme à Madagascar, on commence normalement par une étude relative à l’intégration du genre au niveau des communes. Par la suite, on accompagne les communes pour qu’elles intègrent le genre dans leur structure et aussi dans leurs services publics. A Madagascar, on travaille également avec les maisons de presse pour faire entendre les voix des femmes. Un partenariat avec le 4ème pouvoir est primordial pour enregistrer un changement significatif.

Et puis, notre force c’est aussi le plaidoyer. On mène des plaidoyers pour que le pays prenne des mesures temporaires spéciales pour accroître la participation des femmes aux postes de décision à l’échelle locale et nationale.

Tu as créé la branche malgache. Est-ce qu’il y a des objectifs particuliers ou des spécificités par rapport à l’action de l’ONG ailleurs dans le monde ?

J’ai fait la connaissance de Gender Links à l’Île Maurice. Ils cherchaient à s’implanter à Madagascar mais c’était difficile pour eux de s’implanter dans un pays francophone. On a commencé à faire une recherche sur place et je les ai introduits à d’autres personnes qui pouvaient mener la recherche.

Globalement, à Madagascar, les objectifs sont les mêmes que dans les autres pays : on doit atteindre les objectifs stipulés dans le protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, sur tous les volets, entre autres, éducation, santé, lutte contre les violences à l’égard des femmes et gouvernance (participation des femmes à la vie politique).

Si on regarde le baromètre annuel de Gender Links, un outil qui mesure l’avancement de chaque pays par rapport aux objectifs du protocole, Madagascar est un des pays qui viennent de loin, on est régulièrement dans les 5 derniers du peloton. C’est pour cela qu’on se concentre vraiment sur l’intégration du genre dans les communes, ce qui nous semble la base.

Et puis, le pays ne possède pas aujourd’hui une Politique Nationale pour la Promotion de la Femme. Nos actions de plaidoyer se tournent également vers l’élaboration d’une telle politique.

Avant d’arriver à Gender Links, tu travaillais dans le secteur privé ? Tu peux nous en parler ?

J’ai commencé à travailler sur la promotion du secteur privé en France puis à Madagascar, à la Chambre de Commerce de Toamasina. Ensuite, j’ai été gestionnaire d’une entreprise de 230 salariés qui s’est implantée à Madagascar. Les investisseurs étaient des Américains. C’est une entreprise qui transformait du bambou en parquet, avec une idée écologique derrière.

Tu fais un lien entre ton activité actuelle et ce que tu faisais avant ?

C’est très différent dans le sens où dans le secteur privé mon spectre de décision prioritaire était d’abord au niveau des bénéfices. Il faut beaucoup raisonner en termes de chiffres. Aujourd’hui, dans mon métier, le chiffre n’est pas le plus important. Je m’intéresse plus à l’impact au niveau du changement de la vie des personnes.

Cependant, je reste toujours gestionnaire. Tout ce qui est management, ressources humaines, financements… on retrouve tous ces éléments de gestion. Il faut que l’ONG tourne.

D’où vient ton engagement fort pour les femmes ?

J’ai commencé à travailler avec les femmes entrepreneurs quand j’étais secrétaire générale de la Chambre de Commerce de Toamasina. En revenant à Madagascar après mes études en France, mon idée était plutôt de créer une entreprise. Donc quand on m’a proposé le poste à la Chambre de Commerce je me suis dit que c’était un bon moyen de créer mon réseau.

Je suis devenue Secrétaire Générale de la Chambre de Commerce à 27 ans. Et c’est là que les choses se sont enchainées un peu par hasard. Je n’avais pas bien perçu que le poste avait un aspect politique. Je me suis retrouvée assez exposée, et comme j’étais la première femme à ce poste, et jeune en plus, les journalistes ont commencé à faire des papiers. Une association de femmes est venue me voir pour me dire qu’elle aimerait m’inviter pour leur Assemblée Générale. En fait, elles m’ont gentiment « piégée » puisqu’il y a avait élection et elles m’ont poussé à prendre la vice-présidence. J’ai accepté. Au finale, la présidente est tombée malade rapidement et je suis devenue présidente de l’association.

Avant cela, je ne pensais pas vraiment m’impliquer dans le social, je me voyais comme femme d’affaires, même si je voulais participer au développement de Madagascar. D’ailleurs, cela complétait bien mon rôle à la Chambre de Commerce. Je me suis aperçu que les Chambres de Commerce dans l’océan indien organisaient toujours des réunions avec les femmes entrepreneurs. Au final, suite au développement de mon réseau, nous avons mis en place le réseau des femmes entrepreneurs de l’Océan Indien à Toamasina. Ce réseau fonction toujours jusqu’à présent.

Tu as aussi commencé à collaborer avec l’État Central sur le dispositif de réconciliation nationale à Madagascar. Comment tu t’es retrouvée dans ce dispositif ?

Pendant la crise politique de 2009, j’ai rencontré des femmes membres du réseau de l’Alliance pour le protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, en Afrique du sud, qui nous ont parlé de la résolution 1325 des Nations Unies, de la place des femmes dans les processus de paix et de sécurité, notamment dans des conflits latents comme à Madagascar. Suite à des échanges, en 2011 et 2012, nous avons poursuivi des séquences de formation sur la résolution 1325 et avons développé un « draft » d’un plan d’action pour la mise en œuvre de la résolution à Madagascar. On a soumis le document au gouvernement de la transition pour qu‘il devienne un plan d’action national. Malheureusement, ce n’était pas une priorité à leur agenda à ce moment-là.

En 2015, le « Fiombonan’ny Fiangonana Kristiana eto Madagasikara » (FFKM, Conseil des Églises Chrétiennes de Madagascar) a organisé des dialogues régionaux qui ont été suivis par un dialogue national sur la réconciliation nationale à Madagascar. Durant ces concertations régionales, on a constaté que les femmes n’étaient pas suffisamment présentes dans le processus. Ce qui nous a amenées à organiser « un dialogue des Femmes Malagasy sur la Réconciliation et la consolidation de la paix à Madagascar », en partenariat avec le bureau de liaison de l’Union Africaine à Madagascar. L’objectif général du dialogue était de se concerter sur la contribution des femmes dans le processus de réconciliation à Madagascar. On a réuni les représentantes des Femmes des 22 régions dans la capitale. Suite à notre plaidoyer, toutes les participantes qui ont participé au processus ont été invitées au dialogue national organisé par les églises.

Du coup, au moment où le président a décidé de mettre en place un Comité des experts pour les Révisions des Textes relatifs à la Réconciliation Nationale, mon nom a été proposé par un de nos soutiens qui avait l’oreille du président et j’ai intégré le comité. D’ailleurs, à un moment je voulais vraiment me spécialiser sur les questions de Paix, plutôt que de m’intéresser au développement économique et au genre.

Après tes études tu as commencé par travailler en France, jusqu’en 2003. Qu’est-ce qui t’as fait revenir à Madagascar ?

Mon idée de départ n’était pas de vivre en France mais je me suis mariée avec un français, donc je suis resté un peu. Après notre premier voyage à Madagascar, il a aimé donc on est partis ensemble. Je voulais contribuer au développement de Madagascar.

Qu’est-ce que tu as gardé de ton expérience en France ?

Ma manière de travailler est je pense liée à ma formation ici. Après mes études, j’ai travaillé avec le directeur financier de l’entreprise ou j’ai travaillé en France, j’ai appris avec lui. C’était assez rigoureux donc je crois que j’ai gardé cette rigueur, que je classe dans les savoirs être. J’ai pris le côté très « professionnel » des français.

A la Chambre de Commerce, j’ai aussi beaucoup travaillé avec la Chambre de Commerce et de l’Industrie de la Réunion. On a monté un partenariat facilement. J’ai des facilités avec la relation individuelle et je pense que la coopération c’est ça, que ce soit dans le secteur économique ou là où je suis maintenant. Ma connaissance de la francophonie était vraiment utile pour une ONG comme Gender Links plus orientée vers le monde anglophone.

Mais au final j’ai pas mal travaillé avec le monde anglophone, entre les américains avec l’entreprise de bambous, et les pays dans lesquels Gender Links est impliquée.

Tu viens de terminer ta VAE au CIEDEL. Ta vision du développement a changé pendant le processus ?

Pour moi le volet économique reste toujours très important, mais je l’inscrit dans une réflexion plus large. A présent, je considère également les dimensions sociale, environnementale et culturelle. Auparavant, ma vision était uniquement « économie, économie, économie ». Quand on a créé la société autour de l’exploitation du bambou par exemple, je me suis dit qu’on allait contribuer au développement de la région et du pays car on allait s’acquitter de nos impôts. Mais je n’avais pas forcément pensé aux impacts positifs de l’embauche de 250 personnes, qui a entraîné l’amélioration de vie de 250 familles. Désormais, les enfants ont pu aller à l’école et se soigner confortablement. Avec le recul, il y avait également des impacts négatifs comme la destruction de l’environnement, la société de production s’est située au milieu des zones d’habitation.

Après mon passage au CIEDEL, j’ai aussi retenu que les acteurs locaux doivent être les partenaires stratégiques de développement. Les idées et besoins proviennent des acteurs. Ensuite, on doit être capables de rassembler les ressources locales pour réaliser nos projets de développement. La mobilisation des ressources locales est aussi une condition sine qua non pour assurer le développement local. C’est là que je fais le lien entre ma vision d’avant et ma vision actuelle. Sans les ressources financières, on ne réalise rien.

Quelles sont tes défis ou tes ambitions pour la suite ?

J’ai laissé de côté l’idée de créer une entreprise et je souhaite m’inscrire à un niveau plus politique et plus macro. Je voudrais accompagner un pays ou plusieurs pays à concevoir des politiques publiques. Je pense que si on veut vraiment apporter le changement pour le développement d’un pays, les politiques doivent déjà être bien construites. Pour autant, je ne veux pas perdre pied avec le terrain et la mise en œuvre.

Je pense donc travailler directement avec des ONG internationales qui contribuent à la conception des politiques publiques. L’Afrique de l’Ouest m’intéresse bien, je veux agir comme femme africaine et non uniquement malgache. Mais il reste aussi des choses à faire à Madagascar et pour l’instant je suis à Gender Links.

Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?

Sans hésiter je citerai Paolo Coelho. En 1998, j’ai lu L’Alchimiste et je dirais presque qu’il a changé ma vie. J’aime sa manière de voir les choses, son idée qu’il faut se réaliser en tant que personne, accomplir sa légende personnelle. L’idée c’est « tu dois suivre ton chemin ». J’offre beaucoup L’Alchimiste à mes proches et s’ils accrochent je passe à Veronica.