Les relations internationales des collectivités territoriales, vues de N’Djamena (Tchad)

Ouaziri Ouatchome est membre du Réseau des Praticiens du Développement. Employé au sein du service dédié à la coopération décentralisé de la ville de N’Djamena (Tchad), il a fait l’expérience de l’évolution des relations entre la ville et ses partenaires françaises, lybiennes, chinoises ou encore soudanaises. Point de vue sur ce que les relations internationales ont pu apporter à la ville.

Bonjour Ouaziri. Pouvez-vous nous décrire rapidement la ville de N’Djamena et les défis auxquels elle doit faire face ?

N’Djaména (en arabe tchadien « nous nous sommes reposés »), est la capitale administrative et la plus grande ville de la République du Tchad. Elle compte plus d’un million d’habitants et occupe la rive gauche du fleuve Logone. Historiquement, elle a été créée suite à la bataille qui a opposé les troupes de l’expédition française aux colonnes du résistant africain RABAH (en 1900), gagnée par les français. D’une bourgade de pêcheurs, elle fut érigée en garnison militaire, alors stratégique.

En 1919, le gouverneur de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), ordonna la création d’une commune mixte qui est devenue fonctionnelle dès le 1er janvier 1920. Une commune mixte en ce sens que la ville avait aussi le statut de circonscription administrative et son administrateur avait le titre « d’administrateur-maire ».

En 1956, elle est devenue une commune de plein exercice, gérée par un conseil municipal jusqu’à l’indépendance du Tchad en aout 1960. N’Djaména a assuré un rôle stratégique de première importance pendant la Seconde Guerre Mondiale en devenant un lieu de recrutement, de regroupement et de formation des forces françaises. Je dirais donc qu’historiquement, N’Djamena est très liée à la France (les 2 se doivent beaucoup) mais qu’elle a développé ses propres institutions relativement tôt.

Aujourd’hui, N’Djamena est une ville ouverte où il fait bon vivre. Elle fait toutefois face au (nouveau) défi du développement urbain, puisqu’elle maitrise mal l’occupation du sol, ce qui est le cas dans beaucoup de villes de la sous-région. L’urbanisation suit l’occupation du sol, ce qui entraine des coûts très importants pour la restructuration.

Quelles relations la collectivité de N’Djamena a-t-elle avec d’autres collectivités à l’international ?

N’Djamena entretient des relations avec plusieurs villes à travers le monde. Ces relations sont multiformes, c’est-à-dire des jumelages, des relations de coopération :

  • Jumelage N’Djamena – Toulouse(France) : 16 février 1988 ;
  • Jumelage N’Djamena – Khartoum (Soudan) : 26 octobre 1999 ;
  • Jumelage N’Djamena – LIUZHOU (République Populaire de Chine) : 10 avril 1997 ;
  • Jumelage N’Djamena- Tripoli(Libye) : 18 avril 2007 ;
  • Jumelage N’Djamena – Stoupino(Russie) : 02 mars 2000 ;
  • Coopération décentralisée N’Djamena – Toulouse(France) : 28 janvier 1989

Par ailleurs, la ville de N’Djamena est membre de l’association internationale des maires francophones(AIMF) et de l’organisation internationale des Cités Unies(CGLUA). Elle entretient aussi des relations « régulières » à l’international, par exemple avec l’AFD.

En quoi ces relations internationales sont importantes pour N’Djamena ? Qu’est-ce qu’elle tire de ces relations ?

Personnellement, j’y vois des apports très directs qui renforcent à la fois la collectivité et ses infrastructures. Si je prends un exemple, celui des relations avec la ville de Toulouse (France), N’Djamena a bénéficié en son temps de nombreux apports :

  • Infrastructures et matériel :
    • équipement des maisons de quartiers ;
    • équipement de la bibliothèque municipale Pierre BAUDIS.
  • Renforcement des services publics et de l’institution :
    • mise en œuvre d’un logiciel de Gestion Automatisée des Bases Imposables (GABI) aux services financiers de la mairie ;
    • appui au système d’information géographique ;
    • renforcement de capacité des ressources humaines ;
    • appui aux comités d’assainissement des quartiers ;

Malheureusement, cette relation avec Toulouse et certaines villes françaises traverse des périodes de froid. Autrement dit, elles ne sont pas actives tout le temps. Je pense que ces périodes sont surtout liées à l’aspect politique de ces coopérations. Pour le cas de Toulouse et d’autres villes françaises, on s’est aperçu qu’il y avait une vraie rupture après les élections de 2012 [au Tchad]. La ville de Toulouse semblait frileuse car elle avait du mal à voir quelle pérennité il y avait au niveau de leur implication à N’Djamena. En tant que technicien à la coopération on était un peu impuissants face à cela.

N’Djamena a aussi pu régler le problème de l’adressage (mettre en place un système d’adresses efficace) avec l’appui de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), en 2016, et se doter d’outils de gestion financière performants. Globalement, dans le cadre de l’AIMF, on lie des relations de coopération avec les pays de la Région. N’Djamena est particulièrement intéressée pour s’appuyer sur les expériences de Douala par exemple, bien plus avancée au niveau de la planification urbaine.

Dans le cas de Khartoum – ont était plutôt dans une relation de jumelage et d’échange en fonction des besoins et des compétences. N’Djamena a envoyé des professeurs de français à Khartoum – en retour on a reçu des tracteurs, ou encore des techniciens pour nous appuyer. Ce n’était pas qu’une relation d’élus à élus, il y avait aussi des échanges entre techniciens qui partaient capitaliser. Cependant on s’apercevait aussi que les élus compliquaient la tâche en associant visite politique et visite de coopération donc les limites étaient un peu floues, avec les mêmes risques que pour les villes françaises en cas de rupture politique.

Plus globalement, est-ce qu’il vous semble souhaitable que les villes ou les territoires – notamment en Afrique sub-saharienne – aient une action à l’international : que peuvent-elles faire alors qu’elles ne pourraient pas faire seules ? Quel risque prendrait-elle à l’inverse en n’ayant pas de relations à l’extérieur du pays ?

Bien sûr, nous vivons aujourd’hui dans un monde où nous ne pouvons ignorer l’international. Au-delà de l’internationalisation des actions des multinationales, les communes se sont amarrées dans cette logique. L’influence de l’extérieur est devenue indéniable.

L’important c’est d’œuvrer en synergie avec les autres tout en préservant l’identité locale. C’est là que je vois le risque ou, disons, le challenge à relever dans l’ouverture vers l’international.

Mais clairement le risque le plus grand, c’est de couper les ponts et d’aller vers l’isolationnisme. Même les pays fermés, comme la Corée du Nord, ont besoin de relations avec l’extérieur qui sont une porte de sortie, voire de secours en cas de crise.

Les collectivités ne risquent-elles pas d’oublier leur rôle ou leur responsabilité au niveau local, envers le territoire et ses habitants, en poursuivant des objectifs internationaux ? Ou encore de concurrencer l’État ?

Au contraire ! En poursuivant à l’international, cela favorise plutôt l’émergence des nouveaux défis. Se comparer aux autres collectivités est à mon avis important pour progresser. Chacune peut apporter du tonus à leur territoire et à leurs habitants, des idées neuves. Je réfute l’idée d’une concurrence avec l’Etat du moment que les actions mènent toujours à une convergence, c’est-à-dire le développement de la collectivité et, au-delà, de l’Etat.

Selon vous, quel est l’avenir « international » de N’Djamena : quelle stratégie internationale la ville peut-elle poursuivre dans les 10-20 prochaines ?

La ville se meut, des grands efforts sont en train d’être consentis pour lui donner une autre image. Cette question d’image, d’attractivité, me semble centrale.

Dans le cadre de ses relations de partenariat avec l’AFD, la ville a pu élaborer son Agenda 21 depuis 2011. Ce document a permis d’identifier des aménagements qui donneront une autre image à la ville. L’aménagement du Canal des Jardiniers à N’Djamena est un projet innovant financé par l’AFD. C’est ce type de projet ou de stratégie qui fait évoluer la ville en profondeur. Se positionner à l’international, c’est d’abord vendre une image attrayante. C’est ce qui se passe à N’Djamena maintenant. Quand vous n’entendez que du mal d’une ville et qu’on vous demande si vous voulez aller y travailler, ou investir, vous êtes frileux. Si elle a une image de ville dynamique en revanche, elle va attirer les talents. C’est un cercle vertueux.

L’autre défi majeur, et qui œuvre indirectement à l’attractivité, c’est la consolidation du processus de la décentralisation mis en œuvre il y a de cela cinq (5) ans. Je pense que c’est un indispensable pour renouer la coopération avec Toulouse, la stabiliser. Peut-on ambitionner se prévaloir à côté des grandes villes, quand les institutions sont fragiles ? Je pense que la coopération décentralisée contribue à donner de la force à la ville et j’espère qu’elle pourra nous aider à mettre en œuvre la décentralisation.