Comment les membres d’une diaspora peuvent contribuer au développement local dans leur pays d’origine. Point de vue de Migrations & Développement.

Marianne Poisson est chargée de projet co-développement pour Migrations & Développement, une association qui travaille en France et au Maroc pour faire le lien entre les migrants et leur pays d’origine (et inversement). Concrètement, Migrations & Développement accompagne des associations de migrants marocains en France pour monter des projets dans leur pays d’origine, et les territoires marocains pour identifier et associer la diaspora dans leurs projets de développement.

Bonjour Marianne. Pour commencer cette discussion, peut-on se mettre d’accord sur ce terme, migrants, qui semble englober de nombreuses réalités bien différentes.

Le terme migrant pose effectivement beaucoup de questions dans notre approche. D’abord, il n’y a pas de définition partagée, universelle, de ce mot. La définition la plus consensuelle, c’est une personne qui vit dans un pays qui n’est pas son pays d’origine. C’est donc une personne qui s’est déplacée dans sa vie.

Et c’est là que les problèmes dans l’utilisation du terme « migrant » commencent à se poser puisque dans le cas de Migrations et Développement, on intègre aussi les enfants ou les petits enfants de ces personnes. Nous préférons donc parler de diaspora, soit toutes les personnes qui ont un lien « historique » avec le Maroc mais qui vivent à l’étranger.

Et puis si on regarde autour de nous, il y a des groupes spécifiques ou des appellations spécifiques : rien qu’au Maroc on parle de migrants économiques, réfugiés, personnes régularisés, personnes en attente de régularisation, migrants clandestins, communauté d’étudiants d’Afrique Subsaharienne… Donc dire qu’on travaille avec les migrants ça peut vouloir dire plein de choses et on imagine bien que tous ces groupes n’ont pas les mêmes besoins ou les mêmes enjeux.

Les structures qui travaillent « avec les migrants » sont donc spécialisées et ont chacune leur approche spécifique ?

Oui. Toujours au Maroc, Migrations & Développement se focalise par exemple sur le développement local, la gouvernance, l’animation du territoire, l’environnement et donc globalement l’intégration de la diaspora pour un développement durable.

L’ACIM (Agence de l’Entrepreneuriat en Méditerranée) travaille aussi avec la diaspora, mais s’oriente plutôt sur l’accompagnement de projets d’entrepreneuriat au Maghreb notamment, comme Anima (Plateforme de coopération pour le développement économique en méditerranée).

Ça c’est vraiment pour la partie développement. Sur le champ migration, si l’on parle des flux de migrations et des personnes en situation précaire, ce sont plus de grosses ONG, le secteur de l’humanitaire. Ce ne sont pas les mêmes métiers.

Certains voient l’émigration comme un handicap pour un pays ou un territoire. Vous pensez au contraire que la diaspora, les émigrés donc, peut être une chance. Que peut apporter concrètement la diaspora ?

D’abord, ils peuvent apporter des compétences. Leur expérience à l’étranger leur permet en général de développer des compétences spécifiques souvent précieuses pour le pays d’origine. Parfois uniques.

Et puis il y a la question de l’innovation. Au Maroc, les Collectivités Territoriales l’ont bien compris. Elles disent en général « on n’a pas trop besoin d’argent pour monter les projets ; par contre on a besoin d’idées. Les territoires ont vraiment besoin de techniques différentes, de solutions différentes des modèles classiques.

La diaspora compte des personnes très qualifiées et à travers l’échange il peut y a voir des idées nouvelles qui émergent, pas forcément des reproductions de modèles de développement. L’échange entre la diaspora et le territoire permet d’imaginer comment adapter une technologie à un contexte différent de celui dans lequel elle a été conçue.

Les membres de la diaspora peuvent aussi être à l’origine de rapprochements entre collectivités territoriales et notamment de coopérations décentralisées. Un élu français avec des origines marocaines peut décider de lier un lien avec son pays d’origine. Ou des associations de migrants en France, en nouant des liens avec des Collectivités Territoriales dans leur pays d’accueil, peuvent aussi ouvrir la voie à une coopération décentralisée.

C’est donc vraiment ce mélange de compétences, de partage d’idées et de réseau qui peut apporter une vraie plus-value aux territoires.

Quel est votre rôle dans tout ça ?

Notre mission c’est de dire que la diaspora peut apporter quelque chose au pays, à une région, à un village. En fait la diaspora fait partie du territoire, elle est l’une des ressources, l’une des données, l’un des acteurs. On est là pour interpeller les Collectivités Territoriales sur les questions de migration. Il faut sensibiliser, les inciter à intégrer les questions de migration dans leur planification.

Il y a une vraie question à poser sur la table : les membres de la diaspora, qu’est-ce que vous pouvez faire pour eux, qu’est-ce qu’ils peuvent faire pour vous ? Les questions doivent être soulevées au niveau des instances de gouvernance locale. Il faut qu’ils recensent leurs migrants. Une fois cela fait, on peut évidemment les aider sur la méthodologie, la mise en relation. Je pense qu’en se posant cette question au niveau local on va pouvoir trouver des solutions originales et inspirer d’autres territoires.

A l’inverse, il faut aussi vraiment que ces CT s’attachent à traduire les évolutions de la législation nationale sur la migration dans leurs pratiques. Il y a par exemple un travail qui se fait sur l’appui aux migrants marocains à faire valoir leurs droits ou ceux de leurs ayants droits au Maroc (retraite…).

Avec qui travaillez-vous pour aider les acteurs locaux à intégrer la diaspora comme un facteur ou un levier de développement ?

Au Maroc, on a commencé à travailler il y a 30 ans avec des acteurs qui travaillaient au niveau d’un village. Ils ont mobilisé d’autres personnes de leur entourage et ont commencé à mener des projets dans plusieurs villages, surtout des petits projets d’infrastructures. Et puis ils ont commencé à monter des associations villageoises en y associant des membres de la diaspora, pour travailler ensemble, valoriser les produits du terroir – safran, olive, cactus. Petit à petit l’État marocain a donné de plus en plus de poids et d’attribution aux Collectivités Territoriales, notamment les communes. Nous avons donc logiquement commencé à travailler avec eux sur des questions de stratégies de développement, de démarche participative, de diagnostic…

Côté France, on travaille avec des associations issues de la diaspora mais aussi des individus. Le constat que l’on fait c’est que la communauté n’est pas toujours organisée mais qu’il y a des initiatives individuelles et beaucoup de ressources – expertises, réseau – ce que j’appelle souvent soft power. On a donc cette approche double même s’il faut parfois passer de l’individu à l’association pour des questions juridiques.

Vous percevez des évolutions ces dernières années, avec l’émergence de la migration comme un thème majeur, au moins en Europe ?

Au Maroc la question est de plus en plus prise en compte par les pouvoirs publics. Ça fait longtemps qu’il y a des programmes avec les « marocains du monde » – par exemple des programmes d’accueil pendant la période où les gens rentrent au pays des vacances. Aujourd’hui, il y a un Ministère spécialement dédié aux migrants résidant à l’étranger et aux affaires de la migration.

Le Maroc est aussi un pays de transit important pour la migration vers l’Europe, donc pas uniquement un territoire d’émigration. Depuis quelques années il y a une vraie réflexion et une législation qui s’est mise en place notamment pour faciliter la question de l’intégration au Maroc. C’est dans les textes mais ce n’est pas encore vraiment appliqué au niveau local.

Il y a des enjeux énormes – avec des personnes qui sont là qui prévoient de partir mais qui peuvent rester longtemps. Et donc évidemment on se pose aussi la question de notre rôle là-dedans. Après, les questions des flux migratoires ou juridiques, ce n’est pas notre cœur de métier.

Y a-t-il des champs à investir, ou des champs sur lesquels les bailleurs attendent les organisations qui travaillent avec des migrants ?

Il y a la question de l’intégration. Au Maroc j’ai l’impression que les gens et les organisations ont une vision dure sur les migrants subsahariens. Le regard est assez négatif. C’est malheureusement sûrement un constat universel, mais au Maroc c’est particulièrement marqué.

Sur certains territoires on confie bien volontiers un rôle aux migrants : dans les régions agricoles par exemple ils se voient confier les tâches pénibles, et il y a un fort besoin de main d’œuvre. Mais on touche là à une vraie interrogation sur l’orientation des migrants : est-ce tout ce qu’ils peuvent apporter ? Est-ce un modèle d’intégration souhaitable ? Évidemment non.

On a développé quelques ateliers de sensibilisation sur la migration mais pour l’instant rien de très organisé ou récurrent mais il y a certainement un travail à faire. Par contre en France on travaille avec des groupes de jeunes sur les questions d’interculturalité, de regard, d’origine, donc quelque part c’est la même chose.

Une autre question qui se pose pour nous aujourd’hui, et sans quitter notre cœur de métier, c’est comment les subsahariens au Maroc forment une diaspora vis-à-vis de leur pays à eux ?

Est-ce que vous voyez de nouveaux métiers émerger autour du travail avec les migrants, entre migration et développement en quelque sorte ?

Je vois un métier en particulier. Au Maroc on essaye d’aider à développer la fonction d’agent de développement communal en charge du lien avec la diaspora. On essaye de créer ça avec une douzaine de communes avec qui on travaille. Cet agent a pour mission de faciliter le lien entre les territoires et les migrants, la diaspora, en lien avec les contraintes et atouts de chacun.

C’est un métier qui n’existait pas alors que les Collectivités Territoriales ont des pouvoirs importants mais des ressources humaines limitées. On a voulu essayer d’appuyer la création de cette fonction avec des zones pilotes, un schéma de formation pour ces agents, la définition de la fonction… Globalement ce sont des gens qui connaissent le territoire, différents acteurs et besoins, donc ils ont une orientation développement local. Mais ils sont en charge de faire le lien avec la diaspora et peuvent faire les connexions pour faciliter les projets. C’est vraiment une nécessité. En fait c’est un peu le métier de Migrations & Développement confié aux Collectivités Territoriales.

Et puis du côté français, je pense qu’on a besoin de personnes capables d’accompagner le montage d’associations et de projets, de lien avec les bailleurs… Les associations de migrants sont souvent petites, avec des gens très motivés et engagés mais qui ont du mal à faire ce travail. Il faut donc les accompagner et leur transmettre cette compétence.