Innovation territoriale : la repérer, l’accompagner. Interview avec Emmanuel Jeanjean du PNR Vercors

Emmanuel Jeanjean est chargé de mission énergie et mobilité au Parc naturel régional du Vercors depuis 2 ans. Dans ce cadre, il a notamment participé à l’accompagnement des centrales villageoises, une innovation territoriale qui se diffuse sur le territoire Rhône-Alpin. Le Parc naturel du Vercors travaille depuis 25 ans sur la question énergétique. Ces dernières années, le Parc tente surtout d’innover sur la manière de développer les projets, en lien avec les différents acteurs du territoire et sur des systèmes hybrides. Après plusieurs années de diagnostic, le Parc s’apprête par exemple à soutenir un système d’auto-stop organisé à partir de 2018 pour favoriser la mobilité.

Bonjour Emmanuel. Vous êtes chargé de mission énergie et mobilité pour le Parc naturel régional du Vercors. Vous avez accompagné l’expérience des centrales villageoises qui se sont notamment développées dans le Vercors. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Les projets de centrales villageoises ont été imaginés en réaction au développement anarchique du photovoltaïque. L’offre d’installation pour les particuliers était pléthorique, parfois peu fiable, et les opérateurs privés sollicitaient des communes sur des gros projets au sol. On s’est demandés comment on pouvait avoir un développement à la fois significatif et collectif du photovoltaïque, sans prendre sur des espaces agricoles ou naturels. La solution, c’était de se grouper et se coordonner pour créer des projets sur les toitures des particuliers ou des collectivités. Il fallait imaginer un modèle collectif dès les phases de développement du projet, à savoir trouver un système viable pour financer et organiser les travaux d’études, les investissements initiaux…

Finalement les premiers projets ont émergé sur le Vercors en 2010-11. Il y a eu un premier temps de concertation publique pour susciter une participation citoyenne sur tous les projets. Les citoyens n’étaient pas forcément mobilisés au départ, on a apporté ça avec la concertation. Ensuite, on est passés à la création de sociétés gérées par les citoyens. Le premier projet concernait un territoire de 6 communes et a permis de mobiliser environ 80 actionnaires. Ils ont constitué les fonds propres et monté un projet de 6 toitures, pour 140 000 euros d’investissement. En général ¼ de fonds propres, le reste avec un prêt à la banque. Les projets sont toujours montés pour être rentables à 8 à 10 ans. En principe au bout de 3 ans on rémunère les actionnaires (2 à 3%).

En quoi l’expérience des centrales villageoises est une innovation territoriale ?
Il s’agit de projets d’investissement locaux dans lesquels sont associés les habitants des territoires. Aujourd’hui la finance participative s’est beaucoup développée. Mais j’estime qu’on en a une forme plus aboutie puisqu’on relocalise la finance participative. 80 à 90% de l’investissement des centrales provient des territoires (citoyens et collectivités territoriales principalement). L’association financière des collectivités et des habitants créé un partenariat étroit. Les projets doivent être montés en lien avec les collectivités : c’est inscrit dans la Charte des centrales villageoises. Cela est aussi un gage sérieux pour aller voir les banques.

Qu’est-ce que cela apporte à votre territoire ?
Cette relation de confiance qui s’établit entre citoyens et élus est très intéressante. Les citoyens comprennent mieux le temps des collectivités (plus long que le leur). En retour, les élus sentent mieux la demande sur leur territoire. On amène aussi la question du financement participatif sur le territoire avec des projets très concrets, très visibles, ce qui peut ouvrir de nouvelles perspectives. Et évidemment, on s’inscrit en plein dans le développement durable avec une initiative qui touche à l’environnement, à l’économique et au social. On amorce avec de « petits » projets (100 000€) mais par la suite les sociétés coopératives montées par les citoyens et les collectivités peuvent investir dans des projets plus ambitieux. Les projets qui ont émergés ces derniers temps sont déjà plus significatifs avec des investissements de l’ordre de 500 000 euros.

Qui  a été à l’initiative de ce projet, et quel a été le rôle des différents acteurs ?
Le concept a été développé en lien entre les parcs naturels de Rhône-Alpes et RhônAlpÉnergie Environnement (RAEE). Cette relation existait déjà avant les projets, nous collaborons depuis longtemps. Cela a permis d’associer la culture territoriale des parcs et l’expertise de RAEE. Les parcs naturels régionaux se sont positionnés en animation, avec une présence sur le terrain auprès des citoyens et des initiatives.

Concrètement, aujourd’hui on n’accompagne pas au jour le jour toutes les initiatives. Maintenant que le modèle est construit, le mouvement lancé, on intervient s’il y a une demande spécifique, en cas de besoin. RAEE fait un gros travail de formalisation des outils techniques : gestion financière, business plan, contrats de bail, réponses juridiques… Certains projets se font aussi en partenariat avec des associations locales, comme les associations qui portent les missions infoénergie. Les bureaux d’études sont aussi des partenaires sur chaque projet.

Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’aller vers les citoyens pour susciter les projets. L’innovation se diffuse. Il y a une vingtaine de sociétés en France et 5 sociétés sur le territoire du Vercors et la dernière avait tout simplement entendu parler du dispositif et nous a demandé plutôt un soutien moral.

Faut-il un contexte particulier pour voir une telle expérience se mettre en place ?
C’est plus facile et plus fréquent sur des territoires où il y a des politiques locales favorables, ici en l’occurrence en matière de transition énergétique. Les territoires qui se sont fixé des objectifs de développement des énergies renouvelables peuvent avoir des dynamiques intéressantes (Plan Climat, TEPOS…). Le contexte national et international autour de ces questions incite aussi les citoyens à se questionner, à se mobiliser. Donc potentiellement avec la mobilisation de quelques-uns, une initiative peut émerger.

Une fois ces ingrédients réunis, quels ont été les points clés du processus ?
Une fois qu’on a réuni des citoyens et identifié des toits, il faut pouvoir travailler avec un bureau d’études et donc pouvoir le rémunérer. C’est un peu difficile car les citoyens et les communes peuvent être frileux à engager des frais, c’est compréhensible. Dans les premiers projets, nous avons pu apporter des financements européens ou régionaux pour aider à financer cette intervention des bureaux d’études. Ça reste aujourd’hui la phase la plus délicate, qui peut être facilitée par un peu de subvention. Mais si le projet n’a pas d’aide financière il faut imaginer une avance qu’il faudra amortir dans le financement global du projet. Le risque pris n’est pas énorme sur le photovoltaïque, mais sur des projets plus gros ayant des temps de développement plus long ça questionne (hydroélectricité, éolien…).

Par ailleurs, après le 1er projet, il y a la question de l’investissement personnel : comment continuer quand les gens ont donné beaucoup d’énergie et de temps pendant deux ans ? Il peut y avoir une envie de passer la main. On est en ce moment dans les transitions.

Comment mettez-vous en commun les réussites et les échecs avec les autres territoires et surtout y a-t-il des perspectives de diffusion à un niveau plus large ?
A l’échelle du Vercors on essaie de mutualiser entre les 5 projets lancés. On organise des réunions 1 à 2 fois par an entre les différentes sociétés. Cela ne demande pas beaucoup de moyens, juste d’un peu de temps.

Le niveau du dessus est plus significatif, avec plus de moyens. RAEE est la tête de pont et a mis en place un site internet www.centralesvillageoises.fr qui anime la dynamique et le réseau désormais national (20 sociétés créées). Le dernier Comité de pilotage par exemple a eu lieu début avril ; on dépasse le cadre régional.

Il y a une réflexion en cours sur la création d’une association des centrales villageoises au niveau national, qui pourrait assurer cette animation. Car essaimer l’innovation, c’est aussi répondre aux questions, donner des informations aux territoires qui ont entendu parler de ce système et voudraient à leur tour les développer. Provisoirement, on a créé un comité d’engagement avec une procédure de réponse, pour aider RAEE à répondre aux demandes.

A la lumière de votre expérience, avez-vous un ou deux conseils à donner à des personnes qui voudraient identifier et accompagner l’émergence d’innovations territoriales ?
Toute la subtilité est dans le dosage de l’accompagnement. On ne peut pas arriver avec du clé en main pour le participatif, ce serait un frein à l’appropriation. On peut proposer une idée pour donner une impulsion, en se basant sur l’observation du contexte, du territoire. Une fois qu’elle est adoptée, elle peut être reprise, portée. Il faut alors se positionner en accompagnement, un peu en retrait. Si les citoyens sont intéressés, c’est qu’ils veulent faire eux-mêmes. Il faut donc leur laisser la liberté de développer leur projet. Parfois il faut juste un peu de soutien politique, un petit coup de pouce financier et ça suffit. Sur ces projets il faut beaucoup de volonté citoyenne et un peu de soutien public local.