Développement Local – Droits Humains, la convergence a du sens

Depuis la mise en place d’une formation diplômante « Développement Local – Droits Humains » à Anaphora, en Égypte, le CIEDEL s’attache à mettre en valeur une approche convergente du développement local et des droits humains. Un diplôme a été développé à Lyon avec l’IDHL, et le CIEDEL vient de sortir un guide* pour permettre aux agents de développement local de mieux comprendre l’intérêt de faire converger les deux approches et d’expérimenter des outils d’analyse prenant en compte développement local et droits humains. Nous mettons en valeur dans cet article l’intérêt pour les agents de développement local de s’intéresser à cette approche convergente.

Le lien entre droits humains et développement local est réel et reconnu par l’ONU

L’approche par le développement local et l’approche par les droits humains, prises à part, ont plusieurs objectifs en commun : la dignité humaine, l’inclusion, un partage des ressources sinon équitable du moins effectif… Dans cette optique l’ONU, dès 2005, a fait un lien clair entre les droits humains et le développement (en général), d’abord à travers le rapport de l’ex-Secrétaire Général Koffi Annan, puis par une résolution de l’Assemblée Générale en mars 2006. Le message est le suivant : si les droits humains sont mieux pris en compte pour chaque personne, le développement sera nécessairement plus inclusif ; par ailleurs, le développement est nécessaire pour garantir les droits.

Pourtant, ces liens entre les deux domaines n’ont pas été particulièrement développés jusqu’à aujourd’hui. Les acteurs du développement local et ceux des droits humains sont généralement des entités différentes travaillant de manière cloisonnée. Les formations mêlant les approches droits humains et développement se comptent sur les doigts d’une main, en Europe ou ailleurs (et c’est encore plus rare en ce qui concerne droits humains et développement local). Pourtant, les besoins évoluent, avec la nécessité de construire des ponts entre les deux approches, tant au niveau des institutions internationales que des ONG et associations, voire au niveau des collectivités territoriales. Les agents de développement ayant un profil « convergence» pourraient donc tirer leur épingle du jeu.

Si les objectifs et certaines valeurs sont communs, les méthodes sont différentes, mais peuvent être complémentaires. L’approche développement local par exemple s’attache à la construction collective, par le dialogue et les volontés, et s’ancre dans le concret en tentant de répondre à la question : comment faire changer les choses sur un territoire ?  Cette approche passe généralement par le compromis et a des objectifs différents sur chaque territoire. L’approche droits humains a quant à elle un aspect plus descendant, plus stable aussi. Ses objectifs sont universels et reconnus, ont force de loi dans la plupart des pays, mais ils ne sont pas toujours en phase avec la réalité des situations sur le terrain.

Pour les agents de développement local, prendre en compte les droits humains, c’est garder en ligne de mire le sens de son action

Le CIEDEL, comme d’autres, pointe régulièrement du doigt les limites de l’approche actuelle du développement, notamment celle incarnée dans l’approche projets. Les agents de développement local ne sont pas épargnés : leur action s’inscrit aujourd’hui le plus souvent dans des projets, avec des processus lourds (au niveau administratif par exemple) et un cadre d’action très serré (en termes de temps, de domaine d’action, et de budget), qui peuvent les pousser à devenir des experts de la mise en œuvre de projets plutôt que des contributeurs aux processus, au dialogue et au mieux-être social. Il y a un vrai risque de perte de sens pour les professionnels de terrain.

Dans ce cadre, intégrer la préoccupation des droits humains dans les processus et projets de développement permet de ne pas s’écarter de l’essentiel, ne pas « développer pour développer ». En s’appuyant sur les droits humains, le développement local renforce sa légitimité : le développement inclusif n’est plus un point de vue moral, il a une valeur normative. Il se rattache aussi à des objectifs clairs, partagés, ce qui facilite l’argumentation et la priorisation.

Le rapprochement des deux approches offre un nouvel angle d’analyse stratégique intéressant pour construire des stratégies territoriales de développement efficaces, qui répondent aux besoins non couverts plutôt qu’aux thématiques à la mode (développement économique, innovation, finance locale… selon les pays). Plutôt que de limiter l’analyse et l’action aux priorités fixées au niveau national ou local (qui ne sont pas toujours en phase avec les besoins véritables du territoire et de tous ses habitants), il est possible d’avoir une attention particulière sur la mise en œuvre des droits humains sur le territoire. Cela peut permettre de revoir les priorités ou les objectifs d’un projet ou d’un territoire, de faire bouger les lignes au niveau local.

Les agents de développement local, en première ligne pour mettre en œuvre les droits humains

Les droits humains ne sont pas un simple « ajout » dans la boite à outils ou l’argumentaire des agents de développement local. Ces derniers ont en effet aussi un rôle à jouer et une responsabilité pour que la situation des droits humains s’améliore. Ils peuvent avoir un rôle important de médiation et de traduction des droits, en particulier auprès des habitants les moins informés ou les plus éloignés de l’accès aux droits universels. Plus que les juristes, ces agents peuvent faire le lien entre la situation réelle, vécue, et les droits auxquels chaque personne peut théoriquement prétendre. Leur rôle est aussi de sensibiliser les collectivités locales ou les communautés à l’importance de renforcer leurs actions pour mettre en œuvre les droits humains élémentaires sur leur territoire.

La mise en place d’un projet ou d’une dynamique locale très concrète, par exemple autour de l’accès à l’eau, peut ainsi viser plusieurs résultats aboutissant au renforcement des droits humains :

  • Sensibiliser les habitants sur leurs droits élémentaires en mettant concrètement avec eux en œuvre les droits (par exemple, un projet autour de la mise à disposition d’un point d’eau public dans un village est un bon point de départ pour discuter des droits autour de l’eau de manière pratique et pas seulement théorique) ; cela peut permettre de faire monter en compétence des individus, des communautés ou des territoires sur les questions de droits ;
  • Contribuer à produire des droits au niveau local et/ou national: dans la mesure où les grands textes internationaux, même ratifiés, ne sont pas forcément traduits dans les lois ou dans les politiques publiques, l’action au niveau local est porteuse d’une meilleure prise en compte des droits. La mise en œuvre des droits humains au niveau local peut-être une base intéressante pour un plaidoyer national. Il est aussi important que les décideurs locaux puissent faire un lien direct entre les politiques qu’ils mettent en place et le cursus normatif national et international.
  • Comprendre plus en profondeur les besoins et spécificités d’un territoire : l’intégration de l’approche par les droits dans l’analyse du territoire et dans l’élaboration stratégique locale peut faciliter l’identification de problèmes profonds et le choix de priorités de développement. Celles-ci doivent aller dans le sens d’une amélioration de l’accès aux droits.

L’approche convergente du développement local et des droits humains, un gage d’une meilleure durabilité

Si l’on considère ces deux grands points (les droits humains comme fil rouge et moyen de mieux légitimer des dynamiques de développement local inclusives et la responsabilité des agents de développement local pour faire progresser les droits humains), l’approche convergente tend à rendre les dynamiques de développement locales plus durables. En effet, les droits humains touchent tous les domaines économique, social, politique, culturel, environnemental.

En s’inscrivant dans des droits universels et en plaçant le sens comme phare de l’action, les agents de développement local améliorent leurs chances de voir les dynamiques qu’ils portent comprises par les habitants et portées par les collectivités territoriales, voire prises en compte au niveau national (en faisant évoluer les droits et leur mise en œuvre effective).

Plusieurs outils présentés dans le Guide pratique* « comprendre, analyser et mettre en œuvre la convergence entre développement local et droits humains » attestent de l’intérêt d’adopter une grille de lecture qui intègre la réflexion sur les droits humains au niveau des territoires et dans leurs processus de développement.

* Ce guide a été élaboré à partir d’un atelier de travail regroupant une quinzaine de professionnels du développement local de plusieurs pays. L’atelier était organisé par le RAFOD, mis en place par le CIEDEL avec l’appui de l’IDHL, et soutenu financièrement par la Région Auvergne-Rhône-Alpes.