Interview de Mamadou Keita, Président du CIEDEL

Interview avec Mamadou Keita, Président du CIEDEL depuis le 26/02/2019 et Directeur de Delta-C, Centre de formation et d’appui au développement au Mali par ailleurs membre du PROFADEL.

M.Keita, vous êtes directeur de Delta-C, un centre de formation au développement local au Mali. Quel est le rôle de Delta-C au Mali ?

Delta-C essaie de contribuer au renforcement des capacités en matière de développement en général, et de développement local en particulier. Nous faisons à la fois de la formation de jeunes en cursus universitaire et de cadres en activité. Dans ces activités de formation, comme le CIEDEL, nous travaillons à faire un lien entre la pratique et la théorie.

Cela est possible car à côté de la formation, nous accompagnons les organisations qui contribuent au développement, qu’il s’agisse d’organisations de la société civile, des collectivités territoriales, d’instances étatiques ou d’agences de développement internationales présentes au Mali. Nous travaillons sur des demandes ponctuelles d’expertise, comme des évaluations de projets, de programmes, des formulations de projets, … Mais nous faisons aussi de l’assistance technique dans la durée, pour accompagner nos partenaires en conseil, backstopping, ou renforcement de capacités selon les besoins.

Enfin, nous intervenons aussi au niveau de la recherche action et de la recherche universitaire, qui nous aident à alimenter nos formations. Nous faisons aussi de la prospective.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les domaines sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Pour la prospective par exemple, nous travaillons en ce moment sur la citoyenneté compte tenu des difficultés que rencontre notre pays et de nombreux autres. La dégradation des valeurs sociétales qui font que les citoyens ne font plus ce qu’on attend d’eux est importante à étudier. Nous avons d’ailleurs ouvert un Master sur ces questions de citoyenneté, dont le référentiel avait été travaillé avec les membres du PROFADEL, dont le CIEDEL.

Le Mali connait une grave crise depuis 2012. Est-ce que votre rôle ou votre offre de formation a évolué depuis le début de la crise ?

Evidemment. Nous sommes toujours sur le même créneau mais nous avons réajusté, renforcé. Nous avons par exemple mis en place le Master dont je parlais. Nous avons aussi d’autres projets, comme un projet d’université citoyenne pour lequel on recherche encore des ressources et des partenaires. L’idée est de travailler sur les valeurs traditionnelles de la société malienne et les pratiques traditionnelles, tout en les comparant avec des valeurs plus universelles, pour voir comment elles se confrontent.

Nous nous sommes aussi investis davantage sur le terrain aux côtés des collectivités territoriales et de l’État sur les questions de sécurité et sur le développement social au niveau de la base. Nous travaillons beaucoup au niveau des Régions par exemple sur demande des agences de développement. Et avec l’État sur des prestations en matière de décentralisation, puisque c’est l’un des grands points des accords d’Alger, qui demandent une décentralisation poussée.

En temps qu’universitaire et professionnel du développement local, quelle est votre vision sur cette crise ?

Je pense que c’est autant une crise universelle qu’une crise malienne. Partout ça chauffe. Au Mali nous avons été surpris car il y avait une certaine tranquillité en termes de sécurité pendant longtemps. Aujourd’hui, tous les messages circulent sur cette crise mais la réalité c’est qu’on est entièrement liés à la situation géopolitique mondiale. Avec un début de la crise en 2012, on voit que nous sommes liés à la guerre de Libye en 2011, aux problèmes plus durables d’islamisme qui déstabilisent le monde depuis un certain temps.

Les acteurs locaux n’ont sans doute pas été suffisamment vigilants pour certains aspects. Les questions liées aux ressources naturelles suscitent par exemple automatiquement des convoitises diverses, ce qui n’est pas étranger à la situation. Le problème est donc complexe.

Comment se manifeste concrètement cette crise en termes d’insécurité depuis Bamako ?

Il y a de nouveaux signes de conflits intercommunautaires que nous n’avions jamais vus. Même à Bamako nous avons des problèmes sécuritaires inquiétants, chacun s’efforce de comprendre un peu ce qui se passe et d’apporter sa pierre.

Après, nous n’avons pas que la vision depuis la capitale puisque nous avons aussi des actions dans le Nord. Nous travaillons avec les Régions de Mopti et de Tombouctou. Nous contribuons aussi au programme d’appuis aux communes urbaines du Mali. A travers cela nous vivons les réalités du terrain.

Je voudrais tout de même indiquer que, même si peut être qu’à l’extérieur on ne le voit pas bien, les gens vivent toujours et les acteurs d’accompagnement continuent à faire leur travail. Hormis quelques zones où les agents de l’État ont dû partir avec des écoles fermées. Il y a certes de gros problèmes mais la presse extérieure dramatise un peu les choses. Même s’il faut rester prudents.

Les acteurs du développement ont-ils pris totale conscience de la crise et de leur rôle ?

Chacun prend conscience qu’il y a des problèmes sérieux. Mais pour autant ceux qui sont dedans sont obligés de continuer à travailler, à s’en sortir sur place. Ou alors ils se déplacent. L’État et les CT cherchent leur solution. Il y a des acteurs d’appui, comme la Minusma ou des ONG internationales qui essaient de travailler avec les populations et d’autres acteurs qui essaient de travailler à circonscrire les problèmes de sécurité.

Les problèmes de sécurité et de développement sont évidemment intimement liés. Nous pensons qu’il faut aussi renforcer les actions sociales en allant le plus bas possible, pour permettre aux gens de trouver des activités autres que le djihadisme. Les uns et les autres s’investissent mais est-ce suffisant ? Le problème est tellement complexe que cela dépasse parfois les échelles locales… Les solutions ne se trouvent pas toutes chez nous. La communauté internationale a un rôle important et peut être que ses agissements ont aussi contribué à la source de ce conflit.

Quel est le message principal que vous essayez de faire passer aux futurs agents de développement ?

Le message c’est que « chacun doit aimer son pays, apporter ce qu’il peut apporter et surtout avoir une posture en conséquence ». Cela s’adresse à tous les acteurs : publics, société civile, cadres… C’est une base pour se battre sur la résolution des problèmes que vit le pays, la collectivité, l’organisation.

Quelles propositions peut-on faire pour contribuer à résoudre la crise malienne ?

Chacun a un rôle à jouer. Il y a une crise, bien, il faut le savoir et travailler pour s’en sortir. On s’accuse mutuellement mais tout le monde a sa part de responsabilité. Peut-être qu’il faut que l’on fasse notre autocritique tout en gardant en tête ce que l’on peut apporter.

Si nous travaillons très terre à terre, par exemple sur l’assainissement, je pense qu’on travaille à ce que la crise ne persiste pas, qu’on s’extrait de cette situation de non développement. Donc adoptons une attitude responsable et montrons de l’intérêt pour notre communauté, notre pays, pas uniquement de l’intérêt personnel.