Rôle des territoires dans la transition énergétique : conférence avec les étudiants du CIEDEL

Ce lundi 13 novembre, les professionnels en formation au CIEDEL étaient invités à participer à la conférence « Le rôle des territoires pour assurer la transition énergétique » dans le cadre des entretiens Jacques Cartier. Ces « entretiens » (des événements de formes différentes) sont organisées chaque année depuis 30 ans par le Centre Jacques Cartier pour concrétiser la coopération entre la région Auvergne Rhône-Alpes et le Québec. La conférence réunissait des intervenants de 5 pays de l’espace francophone : Maroc, Suisse, Belgique, Canada et France.

La conférence a permis d’avoir des témoignages d’expériences concrètes menées par les acteurs des territoires invités (collectivités territoriales, associations, universités, laboratoires d’innovation…) pour accompagner la transition énergétique des territoires. Les débats ont en partie tourné autour de l’innovation technologique (avantages de la pile à hydrogène, mécanismes de chauffage ou de refroidissement via les eaux du Lac Léman,…) et des mécanismes d’incitation des industriels pour mettre à disposition mais aussi recourir aux technologies considérées plus propres. Mais en toile de fond, ce sont surtout les problématiques de partenariat qui sont ressorties, et les besoins d’innover sur les processus (concertation dans le domaine de l’énergie, prise en compte de la complexité, rencontre et acculturation des acteurs scientifiques et de la société civile…).

« Territorialiser la transition énergétique, c’est réussir ensemble »

La gestion du partenariat (formalisé ou non) entre des acteurs très différents a été l’une des constantes dans ces interventions. Les cadres de travail et les acteurs sont différents sur chaque expérience mais ils ne sont jamais isolés. Les circuits d’eau chaude du canton de Genève mobilisent fondation de territoire, bureau d’étude public, industriels produisant de la chaleur, entreprise en charge des travaux publics (les tuyaux ont été posés lors de la rénovation de l’autoroute) et propriétaires des immeubles. Les rencontres volte-face de l’Université de Lausanne ont réuni chercheurs, citoyens, associations, entreprises, techniciens des collectivités territoriales. Etc.

Au-delà des innovations technologiques, le tableau dépeint par les intervenants met bien en avant la nécessité de trouver plus de synergies, de mettre des informations à disposition, de mieux dialoguer pour comprendre les besoins et les motivations des différents acteurs de l’écosystème énergétique afin de pouvoir donner une efficacité maximum aux investissements publics et privés. La politique financière vient en renfort de cette action de coordination : nécessaire mais pas suffisante car les investissements sont trop lourds si l’on n’a pas une coordination collective, trop peu efficaces s’ils ne s’inscrivent pas dans une direction et des objectifs à atteindre partagés entre acteurs.

La capacité du territoire à se fixer sa propre feuille de route, un indispensable

Plusieurs intervenants ont relevé d’autres ingrédients pour définir le cadre dans lequel ils ont pu mener des actions innovantes : l’autonomie du territoire et la relation de confiance entre acteurs.

L’autonomie d’abord leur a permis de profiter des spécificités de leur territoire. En Suisse ou au Québec par exemple, les intervenants ont indiqué que s’il existe des objectifs au niveau national, leur canton ou leur province avait la possibilité de fixer sa propre feuille de route.

Cela a plusieurs intérêts. La concertation est plus facile (80% des 200 mesures du plan énergie 2030 étaient citées dans la concertation au Québec). Les interlocuteurs politiques sont moins nombreux et se connaissent mieux et il est donc plus facile de se mettre d’accord et se coordonner. Et les stratégies peuvent être réfléchies directement en fonction des spécificités du territoire : les billes de bois non utilisées par les bûcherons au Canada peuvent être revendues comme source d’énergie de chauffage pour les entreprises. Etc. Il est aussi intéressant d’ajouter que l’autonomie permet aux territoires de se fixer des objectifs plus ambitieux, et n’empêche par ailleurs pas de travailler en coopération avec les territoires voisins.

La confiance entre acteurs, ensuite, est indispensable à l’émergence de certaines de ces innovations. Les entreprises qui achètent des voitures à l’hydrogène en Auvergne Rhône-Alpes comptent sur le développement des stations, appuyées par la Région. Mais à l’inverse, la Région compte sur les constructeurs pour produire des voitures à hydrogène à moindre coût et sur les entreprises pour les adopter. La plupart des témoignages évoquaient ces liens de confiance.

La transition énergétique : un projet de société à construire en commun et non pas entre spécialistes ou en cercle fermé

Parmi les interventions très positives des intervenants qui mettent en valeur le dynamisme de cette transition énergétique sur leur territoire et les dispositifs et expériences multiples, la prise de parole des deux derniers intervenants – Université de Lausanne et Université de Namur – détonnent : oui les expériences en lien sur les territoires sont intéressantes, oui le progrès technologique et la prise de responsabilité des industriels est nécessaire, mais il ne faudrait pas oublier de questionner le sens de cette transition, et de l’intégrer (ou d’en faire) un projet de société inclusif. La réussite de la transition énergétique ne peut pas reposer que sur son succès économique – l’une des questions soulevée lors des débats finaux – les ruptures technologiques ou par les incitations fiscales.

Le projet volte-face de l’Université de Lausanne a donc réuni des acteurs très variés (sur 3 ans) pour répondre à trois grandes questions : quelle est la relation des citoyens avec la transition énergétique ? Quels sont les acteurs de cette transition et leurs motivations, du cycliste à l’usine de panneaux solaires ? Et quels sont les outils qui peuvent permettre de faire avancer la transition ? En réunissant des scientifiques, des citoyens, des chefs d’entreprise etc. pour discuter sur ces questions, l’idée est bien de rappeler que la transition énergétique est un projet de société. Et de faire germer de nouvelles idées, pas forcément technologiques. La territorialisation de la transition ne peut donc pas se passer d’une vision commune et inclusive et non pas uniquement des expériences menées par des spécialistes de l’énergie.

L’Université de Namur ne dit pas autre chose lorsqu’elle monte un cursus sur les transitions dans les espaces ruraux (« Smart Rurality »). D’abord, la formation rassemble des étudiants de cursus très différents (urbanistes, sociologues, scientifiques…) afin de croiser les thématiques. Ce croisement peut être source d’innovations. Ensuite, elle rappelle que tous les territoires ne sont pas égaux face aux objectifs de transitions mais que tous ont un rôle à jouer et ont le droit de participer au débat. Si les villes ont souvent les moyens et l’autonomie pour définir leur politique énergétique, elles ne doivent pas oublier leur territoire élargi (rural compris) avec lequel elles entretiennent des liens. Autonomie ne veut pas dire absence de synergies.