Les festivals, comme Lafi Bala, sont l'une des illustrations de l'intérêt local d'une coopération décentralisée.

S’engager dans une relation de coopération décentralisée, quel intérêt localement ?

Cet article se base sur une recherche action sur l’intérêt local conduite depuis 2016 par le CIEDEL dans le cadre d’un groupe de travail du GIP RESACOOP. Elle a associé des étudiants de l’IEP de Lyon, du CIEDEL, la Métropole de Lyon, les Hospices Civils de Lyon, l’association Ados, l’association Pays de Savoie Solidaires, la ville de Grenoble, l’Afdi Auvergne, le conseil départemental de l’Allier, les maisons familiales et rurales de Drôme et Ardèche. Le travail, toujours en cours, donnera lieu à une publication durant l’été 2018.

Les collectivités territoriales françaises disposent depuis 2007 (Loi Thiollière) de la capacité d’investir le champ de l’aide au développement, sans avoir d’obligation légale de justifier son intérêt pour les citoyens. Paradoxalement, depuis cette date, elles sont de plus en plus contraintes de légitimer l’intérêt local (c’est-à-dire sur leur propre territoire) de la coopération décentralisée auprès de leurs citoyens, pour des raisons politiques. A l’heure où les contraintes budgétaires tendent à remettre en cause certaines actions de solidarité, le travail d’explicitation de l’intérêt local de la coopération décentralisée devient une nécessité. Une démarche qui peut paraitre auto-centrée (et la solidarité dans tout ça?) mais qui apporte en fait son lot d’améliorations pour comprendre et améliorer les partenariats entre institutions et territoires de pays différents.

Une opportunité pour mieux réfléchir les partenariats

Réfléchir à l’intérêt local de la coopération décentralisée, c’est reconnaitre qu’un partenaire étranger peut apporter des choses à notre territoire.

En particulier, dans de nombreuses relations de coopérations décentralisées Nord-Sud, le partenariat n’est pas établi sur de réelles bases de dialogue : ni le territoire du Nord, ni celui du Sud, n’expriment clairement leurs motivations, leurs attentes vis-à-vis de ce partenariat. Au Nord la coopération décentralisée a souvent été considérée comme une action exclusivement d’appui, dans une dimension affirmée d’aide au développement. Au Sud les responsables politiques ont régulièrement ouvert les portes à un appui étranger, pour différentes raisons, même si parfois cet appui n’était pas adapté au contexte ou aux priorités de leur territoire.

La capacité à penser l’intérêt mutuel est l’un des grands enjeux de la coopération décentralisée aujourd’hui. Elle suppose une prise de conscience dans chaque territoire de la capacité des partenaires à proposer ou induire des solutions innovantes à travers l’échange (donc de tirer plus que la somme des apports de l’un et de l’autre). Elle suppose également que les collectivités françaises s’autorisent à exprimer des attentes à leurs partenaires des collectivités du Sud.

Des effets bien réels et mesurables

Concrètement quels peuvent être les effets de cette coopération de territoire à territoire ? A travers notre recherche sur les territoires de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, nous en avons identifié plusieurs, que l’on peut regrouper dans quatre catégories principales.

  • Des effets sur les personnes :
    A l’heure où le vivre ensemble, les questions de citoyenneté et de transition sont sur le devant de la scène, les personnes interrogées mentionnent des effets en matière de déconstruction de stéréotypes ou la modification de perception, dans des domaines aussi variés que la prise de conscience de certaines situations matérielles, les effets de la mondialisation dans certains territoires, la place de la religion dans certaines sociétés ou encore la situation de la femme. Les personnes concernées parlent également de changement dans leurs relations aux autres : écoute, bienveillance, mais aussi libération de la parole ou prise de conscience de la nécessité d’un engagement citoyen, de changement de comportement des enfants (prise de conscience du gaspillage alimentaire, recyclage…). En d’autres termes, c’est toute une gamme de compétences citoyennes qui sont concernées.

 

  • Des effets sur les professionnels :
    D’un point de vue professionnel, la coopération décentralisée peut permettre l’innovation dans les pratiques. Cela concerne des compétences « dures » comme l’acquisition ou le développement de nouveaux savoir-faire ou de capacités d’implication des collaborateurs. Mais aussi des évolutions plus diffuses : reconnaissance professionnelle dans certaines professions, renforcement de la motivation, redécouverte du sens du métier, évolution professionnelle ou choix d’orientation pour les plus jeunes, développement de nouveaux réseaux …

 

  • Des effets sur les institutions :
    Certaines organisations ou institutions bénéficient très directement des actions mises en œuvre dans le cadre d’une relation de coopération décentralisée, en devenant plus attractives : un centre de formation capable d’offrir des possibilités de mobilité « originales » par exemple, peut en faire un élément d’attractivité. En interne, les changements sont mesurés dans les collectivités territoriales au niveau de l’évolution du management, de la structuration des services (la coopération peut mener au développement d’un nouveau service par exemple en faisant émerger de nouvelles thématiques) ou, encore une fois, dans le développement du réseau.

 

  • Des effets sur le territoire :
    Souvent au cœur des stratégies territoriales, la visibilité/attractivité du territoire est directement modifiée par la relation de coopération. Des effets sont notamment constatés dans l’animation du territoire : identification et mise en valeur du patrimoine culturel (autour par exemple des savoir-faire locaux), innovation sociale (terreau pour la participation citoyenne), apprentissage collectif du vivre ensemble etc.

De l’idée à sa réalisation : faire advenir l’intérêt mutuel dans la coopération

Malgré les résultats que l’on commence à mesurer au travers de la recherche conduite en Auvergne Rhône-Alpes, les effets de la coopération décentralisée avec les pays du Sud ont aujourd’hui encore du mal à être objectivés. Ils restent diffus, difficiles à cerner, pour deux raisons :

  • ils sont trop souvent pensés a posteriori
  • ils ne font pas l’objet d’une identification très claire par les personnes et les institutions qui pourraient en tirer profit : au retour d’une mission à l’international, le manque de « débriefing » ne permet pas de retirer les enseignements, acquis, idées nouvelles qui pourraient enrichir les professionnels et les structures qui les envoient. Si la personne fait l’effort d’analyser ce qui a changé en elle, dans sa perception d’un sujet, sa pratique, elle peut peiner à convaincre ses collègues, amis, entourages, de changer eux-mêmes leurs pratiques.

Il est donc important, pour bénéficier pleinement des effets de la coopération et pour qu’elle perdure dans le temps, de se donner les moyens :

  • en amont d’exprimer des attentes vis-à-vis de ses partenaires ;
  • en aval de créer des espaces de relecture de l’expérience, et que les moyens soient pensés pour accompagner le changement opéré chez les personnes et/ou les équipes. Par exemple les jeunes expriment souvent l’idée qu’une implication à l’international, dans une action de coopération, leur fait prendre conscience de l’importance de la solidarité, et les sensibilise à l’idée d’un engagement ultérieur. Un accompagnement à leur retour peut leur permettre de réaliser cette idée, de la mettre en œuvre.

Identifier l’intérêt local d’une coopération décentralisée : une question de démarche au cœur de la coopération

Le travail d’identification des effets locaux de la coopération de territoire à territoire n’en est probablement qu’à ses débuts. Les collectivités territoriales ont tout intérêt à s’en saisir. Cela peut aussi permettre de rendre les politiques de coopération plus transversales, alors qu’elles sont parfois encore cantonnées à un service à part, qui poursuit ses propres objectifs. En mobilisant, selon les besoins, tous les services de la collectivité en fonction de l’évolution du partenariat, la coopération de territoire à territoire peut devenir un levier important dans la stratégie globale de la collectivité territoriale au service de son territoire.

Nous constatons d’ailleurs que les nouveaux entrants dans la coopération décentralisée (qu’il s’agisse de centres de formation, d’hôpitaux, de bibliothèques ou d’acteurs sociaux) identifient et explicitent d’autant plus facilement leur intérêt dans la coopération décentralisée, qu’ils ont conscience, dès le départ, de ce qu’ils peuvent retirer de leur implication dans une relation partenariale à l’international.